Figure incontournable du jazz manouche d'Alsace depuis plus de vingt-cinq ans, Mandino Reinhardt est un guitariste aux immenses qualités tant musicales que personnelles. Homme discret, ouvert et chaleureux, il a toujours su suivre sa propre route avec clairvoyance, quiétude et maturité. Soliste à la forte personnalité, il a su développer un style original, à l'écart de tous les clichés, tant à la guitare acoustique qu'à l'électrique. Pas de guitare-mitraillette chez lui mais un jeu intériorisé et un phrasé détaché aux improvisations limpides intégrant l'influence de Django, bien sûr, mais aussi celle de guitaristes de l'école américaine comme Joe Pass ou Wes Montgomery.
C'est aussi un compositeur à la fraïcheur d'inspiration constante, sachant renouveler le style par des apports bienvenus, mais sans jamais oublier d'où il vient.
Afin de perpétuer la tradition musicale chez les Manouches, il transmet son savoir au sein de l'Appona, en développant une pédagogie adaptée au milieu, mettant sur les rangs de jeunes musiciens comme Frankie Reinhardt ou Dino Mehrstein. Mandino vient de sortir, avec Note Manouche, un CD qui fera date; l'occasion pour French Guitare de lui poser quelques questions.
French Guitare / Peux-tu te présenter?
Mandino Reinhardt /Je suis né le ou avril 1956 à Strasbourg; mon père, qui jouait un peu de guitare et de violon, a appris les premiers accords à mon frère Sony. J'ai des souvenirs d'enfance de mon grand-père qui était un excellent violoniste et avait une formation avec un contrebassiste et ses deux fils (c'est-à-dire mes oncles), l'un à la guitare et l'autre au violon. Ils se produisaient tous les dimanches dans les guinguettes au bord du Rhin, dans certains cafés de Strasbourg et dans les fêtes familiales. J'ai grandi dans cette atmosphère et j'ai commencé à jouer de la guitare dès
l'âge de 12 ans. Mais le déclic fut la rencontre chez Marcel Daval, aumônier des Manouches, de Coco et Samson Reinhardt, les deux fils de Piton (1). J'ai été émerveillé par ce que les deux musiciens faisaient sur le manche d'une guitare. Ce fut une révélation et j'ai alors décidé d'essayer de faire aussi bien qu'eux.
Quel a été ton parcours musical?
Quand j'ai su jouer 5 ou 6 morceaux, je suis allé faire la manche dans les cafés de Strasbourg, avec mon frère Sony. À cette occasion, j'ai rencontré un clarinettiste avec lequel on a fondé le Reinhardt's group et qui a dû se produire 2 ou 3 fois. J'ai aussi rencontré un guitariste non Gitan, Gérard Nizard, qui jouait dans le style Django. II m'a beaucoup aidé, en me donnant des tuyaux techniques mais aussi de judicieux conseils : "]oue comme tu es, fais comme tu pense sur le manche de la guitare". Les véritables débuts professionnels datent de 1982, quand Patrick Andresz est venu me solliciter pour fonder le groupe Sweet Chorus, avec Pierre Zeidler à la clarinette, mon frère Sony à la guitare et un contrebassiste. Parfois, l'accordéoniste Marcel Loeffler, que je connais depuis l'enfance, venait nous rejoindre en concert. Nous avons enregistré un premier disque en 1984 et pas mal tourné dans l'Est et en Allemagne. Le groupe est passé par plusieurs courant musicaux, se démarquant progressivement du jazz manouche pour aboutir à une couleur, des compositions et une instrumentation originales, notamment avec les apports du trompettiste et du vibraphoniste sur le deuxième album.
Quand et comment le groupe Note Manouche s'est-il constitué?
L'Appona (association pour la promotion des populations d'origines nomades d'Alsace) a été contactée par des responsables culturels italiens (ça devait être en 1992). On a formé un groupe avec Tchavolo Schmitt à la guitare, Marcel Loeffler àl'accordéon, mon frère Sony, son fils Dino, et Philippe Froidefond à la contrebasse, et on est allé en Italie un peu comme ça, sans répète, sans rien. L'un des organisateurs m'a demandé s'il pouvait enregistrer le concert afin d'en faire un CD. Depuis, le groupe a pas mal changé, mais depuis quatre ans, la formation s'est stabilisée avec Gérald Muller, contrebasse, Josélito Loeffler, le frère de Marcel à la guitare d'accompagnement, Marcel et moi. On essaie de faire des choses un peu plus structurées, d'innover avec les harmonies tout en gardant le côté manouche.
Le disque ne comprend que des compositions de Marcel ou de toi. Comment travaillezvous?
À la fin de Sweet Chorus, l'orientation musicale ne me plaisait plus, ne me convenait plus. Je ne me sentais plus très à l'aise et j'ai d'ailleurs raccroché la guitare deux fois.
Avec Note Manouche, Marcel et moi sommes revenus sur le même chemin et on a décidé de composer un maximum de morceaux. On est de vieux complices depuis plus de vingt ans et on prépare les choses ensemble. On se montre les accords, les mélodies, puis on travaille chacun chez soi avec les cassettes. On fait les arrangements ensemble, on discute, on travaille aussi pas mal à trois avec Gérald et c'est moi qui montre les accords à Josélito pour la guitare rythmique.
Quelle part accordes-tu à l'improvisation?
C'est la question piège! Pour improviser il faut avoir un peu de technique, mais la prouesse technique tout le temps, quel que soit l'instrument, n'est pas toujours la bienvenue, car si l'on veut montrer à tout prix qu'on est véloce il y a beaucoup de pertes du côté musical. Regarde Django, il n'a pas toujours de très grandes prouesses techniques; souvent il ne joue que quelques notes mais qui sont fabuleuses, tout aussi intéressantes et parfois plus que certaines envolées. Pour l'improvisation, il faut se laisser un peu aller et laisser parler son coeur.
Sur quelle guitare joues-tu, et travailles-tu toujours l'instrument?
Là j'ai la chance de jouer sur une Richard Béïque, luthier Strasbourgeois qui m'a fabriqué une copie conforme de la fameuse guitare Selmer sur laquelle jouait Django. On est allé à Berne voir le guitariste Fere Sheidegger qui en a une, et Richard a pris toutes les mesures possibles et imaginables. Et le résultat est inouï. je travaillais l'instrument de manière aléatoire, selon les propositions qu'on me faisait. Depuis ces derniers mois, avec la préparation du CD,je travaille beaucoup plus sérieusement et j'espère que cela va continuer.
Que représente Django pour toi ?Va-t-il une période que tu préfères?
Django est évidemment pour moi la figure incontournable de cette musique puisqu'il en est le créateur. Mais c'est également un vampire car celui qui a joué la musique de Django peut très difficilement s'en défaire. Ça prend aux tripes, au coeur, au ventre, partout. C'est certainement l'un des plus grands génies de la guitare. J'aime toutes les périodes musicales par lesquelles il est passé. À partirdu moment où on le découvre un peu, on veut en savoir davantage, on est toujours très fasciné de ce qu'il va proposer sur telle ou telle figure d'harmonie. C'est tout le temps très intéressant.
Comment vois-tu l'évolution de ce qu'on appelle le "jazz manouché'?
Je crois que dans le milieu manouche la relève est déjà bien assurée; il y a des jeunes qui montrent le bout de leur nez (Samson, le fils de Dorado, Dino, le fils de mon frère Sony ou encore le violoniste Timbo Mehrstein) et qui sont très très forts. Par ailleurs, il y a chez les non-Tsiganes de plus en plus de guitaristes intéressés par la musique de Django; c'est un atout pour que cette tendance du jazz résiste à notre monde d'aujourd'hui.
Ya-t-il toujours une scène musicale manouche a Strasbourg?
Depuis environ deux ans, il n'y a plus rien. Avant, beaucoup de Manouches jouaient régulièrement au café des Anges; La Choucrouterie était le fief de Tchavolo, mais il ya eu des problèmes de voisinage, de bruit...
L'Appona organise aussi un festival en juillet mais la musique manouche n'est pas la plus représentative,car ils font appel aux Tsiganes du monde entier.
Ne manque-t-il pas surtout à Note Manouche un bon manager pour tourner davantage?
La question tombe très bien, car on a une manageuse (ma femme) depuis quelques mois. Elle s'occupe de nous avec beaucoup de sérieux; on a une quinzaine de dates prévues et j'espère que cela va continuer. Je pense qu'auparavant on n'était pas suffisamment sérieux. Car être un bon musicien ne veut pas forcément dire qu'on va beaucoup jouer, beaucoup tourner... Ça se prépare, c'est un travail et c'est souvent très difficile pour un musicien de se vendre, de s'occuper du côté commercial, de discuter avec les organisateurs... et puis je pense qu'il ne faut pas mélanger les choses.
Quel est ton plus beau souvenir musical et quels sont tes projets pour l'an 2000?
II y en a beaucoup, disons "Valse noble" ma première composition, ainsi que les premières scènes avec Sweet Chorus. En ce qui concerne mes projets, j'espère tourner beaucoup avec Note Manouche, composer dans le même esprit créatif afin d'enregistrer, pourquoi pas, un autre CD à la fin de fan 2000.
(1) Piton Reinhardt, guitariste non professionnel, cousin de Django, très respecté et admiré par la communauté manouche.